actif-trafiC, en tant qu’association défendant à la fois la mobilité douce et la végétalisation, pose un regard critique sur les abattages d’arbres pour la réalisation de la voie verte à Carouge. Heureusement, les situations comme celles-ci qui opposent mobilité douce et arbres restent rares et sont l’arbre qui cache la forêt du vrai problème: la place écrasante accordée au trafic motorisé sur tous les espaces déjà asphaltés.
Le vif émoi suscité par les abattages d’arbres dans le secteur de la Fontenette à Carouge n’est pas tout à fait étonnant: il existe un certain paradoxe à abattre des arbres en nombre pour créer une voie «verte» dans une zone urbaine où les espaces verts sont déjà assez rares. La mobilisation d’une partie de la population contre ces abattages montre un fort attachement à la biodiversité en zone urbaine. Non sans raison: ces espaces de respiration sont vitaux à Genève, ville la plus dense d’Europe.
L’urgence climatique ressentie toujours plus fortement et l’effondrement de la biodiversité nous obligent à faire évoluer notre regard sur l’aménagement urbain, y compris sur des projets planifiés il y a seulement quelques années.
Tout d’abord, il faut rompre avec la conception selon laquelle les arbres ne seraient que du «mobilier urbain» dont on pourrait disposer à l’envi en les tronçonnant allégrement et en replantant «en compensation». Il s’agit d’êtres vivants, auprès desquels d’autres êtres vivants trouvent refuge. Du point de vue des services écosystémiques, un arbre arrivé à maturité après 20 ans ou davantage reste incomparable avec un nouvel arbre fraîchement planté. Abattre des arbres ne doit pas être un acte anodin et les mobilisations citoyennes sont utiles pour tirer la sonnette d’alarme.
Il ne s’agit pas pour autant de sanctuariser chaque végétal mais bien d’opérer au cas par cas une pesée d’intérêts prenant en compte des critères tels que l’utilité sociale et écologique du projet, le nombre d’arbres à abattre, leur âge et leur état. Il est également nécessaire d’explorer pleinement les possibilités de «faire autrement» pour réduire les coupes au strict minimum.
Un projet routier ou autoroutier ne devrait pas être traité sur le même plan qu’une voie verte réservée à la mobilité douce. Car indéniablement, traverser Genève de part en part en croisant très peu de trafic motorisé – comme le propose la voie verte – présente un véritable intérêt écologique et social: il en va tout autrement de la route des Nations ou de l'élargissement de l'autoroute de contournement qui ne feront que générer du trafic motorisé supplémentaire.
On peut toutefois s’interroger sur le tronçon litigieux de la Fontenette: n’y avait-il vraiment pas ici possibilité de préserver au maximum les arbres existants, quitte à rendre la voie verte plus étroite sur ce passage en mettant sur pied une signalétique ad hoc qui encourage les différent·e·s usagers·ères à ralentir pour mieux partager l’espace? Des panneaux expliquant cette concession pour le maintien de la biodiversité permettraient sans doute de faciliter l’acceptation pour les futurs usagers·ères de cet inconfort localisé.
L’essentiel est de ne pas reproduire ces erreurs sur le reste du tracé. Si derrière le centre sportif de la Queue d’Arve et la Parfumerie, le long de l’Arve, un dilemme similaire à la Fontenette se posera, au Quai du Cheval-Blanc et au quai des Vernets, les choses sont claires: l’arbitrage doit être fait au détriment des voitures et du stationnement. Il y a là de toute évidence largement la place de faire une véritable voie piétonne et cyclable bidirectionnelle confortable sans procéder à des abattages d’arbres. Sur ce tronçon-là, l’espace doit absolument être pris aux voies de circulation et au stationnement automobile qui occupe une place totalement indécente, n’en déplaise au TCS qui a déposé un recours et qui représente clairement la plus grande menace pour les arbres et la mobilité douce. C’est ce puissant lobby automobile qui, à force de recours acharnés contre la suppression des places de parking ou de voies de circulation, pousse à mettre en concurrence l’espace pour la mobilité douce et celui pour la végétation.
Or, les choses sont claires: si l’on veut atteindre les objectifs du Plan Climat cantonal et réduire de moitié le trafic motorisé dans la prochaine décennie, les projets de mobilité douce doivent en priorité prendre sur l’espace aujourd’hui dévolu à l’automobile qui, en zone urbaine, continue encore aujourd’hui d’occuper les deux tiers de l’espace public, alors qu’elle n’assure qu’un quart des déplacements. Dans les dix premières communes du Canton, le stationnement seul occupe l’équivalent d’au moins 54 terrains de football. Des espaces gigantesques à conquérir pour la mobilité douce et la végétation, comme le demande l’initiative Climat Urbain sur laquelle nous devrions voter en fin 2023 ou début 2024.
Les arbres et la mobilité d’avenir ont, en ville, un adversaire commun: l’automobile et la place démesurée qu'elle occupe!