Le 29 août dernier, actif-trafiC organisait une conférence sur la question du transport professionnel durable en ville intitulée «Y’en a qui bossent… à vélo!». L’objectif: faire un état des lieux sur l’usage des vélo-cargos dans le cadre professionnel et définir les principaux enjeux relatifs au développement de ce mode de transport en Suisse. Trois intervenant·es étaient invité·es: Mme Maïté Sommer, directrice de Geneva Cargo Bike, M. Jules Charles, fondateur de l’Unique Livraison et M. Dimitri Marincek, chercheur à l’OUVEMA (Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives).
Alors que les vélo-cargos existent depuis plus d’un siècle, ils ont progressivement disparu de nos villes au profit du transport individuel motorisé. Depuis quelques années, on assiste toutefois à leur grand retour, notamment grâce aux facilités offertes par l’assistance électrique. En Suisse, la vente de vélos-cargo a augmenté de 184 % entre 2019 et 2021. Ces derniers sont utilisés pour le transport de personnes (enfants notamment) mais également pour transporter des marchandises et du matériel professionnel.
De plus en plus d’entreprises et de collectivités publiques y ont recours pour un usage professionnel, que ce soit dans le domaine de la construction, des services aux personnes, de la restauration ou de la livraison de marchandise. A l’heure où la livraison de colis est en plein essor, le vélo-cargo représente une excellente solution pour couvrir le «dernier kilomètre», soit la livraison de marchandises au détail, depuis des centres logistiques situés hors de l’hypercentre (ou des hubs) jusqu’au au cœur des villes.
Gains économiques
Le vélo-cargo présente des avantages indéniables en termes économiques pour les entreprises qui souhaitent l’utiliser. Le tableau ci-dessous élaboré par Maïté Sommer compare les coûts d’un véhicule utilitaire et d’un vélo-cargo à charge équivalente. On constate que même en prenant pour référence un vélo-cargo "deluxe", très coûteux à l’achat, les frais d’entretien (réparations, assurance, parking) sont largement inférieurs à ceux d’un véhicule utilitaire même d'occasion bon marché... rendant le vélo-cargo plus économique dès la deuxième année déjà avec 15'500.– de frais pour le vélo-cargo contre 23'000.– au total pour l'utilitaire d'occasion!
Le vélo-cargo choisi pour cet exemple est une option "deluxe" maximaliste: le plus puissant + grosse caisse + grosse remorque + grosse box avec un volume total comparable à celui d’un utilitaire.
Gains écologiques... et en temps!
Pour Jules Charles, de l’Unique Livraison, un service de restauration (livraison de plat du jours et service traiteur en vélo-cargo, c’est le facteur écologique qui était au centre de la réflexion, et le vélo-cargo comme évidence pour son projet. Mais dans les faits, le vélo-cargo permet aussi de gagner du temps en ville, malgré certains inconvénients à prendre en compte : les intempéries, les vibrations lors du transport, le besoin d’une certaine condition physique ou encore la nécessité de faire deux trajets au lieu d’un seul en camionnette pour les gros services traiteur.
Les participant·es ont également relevé plusieurs obstacles et solutions.
Obstacles législatifs
- En Suisse, légalement le poids de la remorque ne doit pas excéder 80 kg (poids de la remorque inclus): c’est trop peu.
- Des vélos-cargo/remorques pouvant porter des charges plus lourdes existent mais ne peuvent pas être immatriculés (par ex: remorque Fleximodal qui mesure 1,10m de large alors que la loi autorise 1m)
- Vibrations, secousses, pression, températures: besoin de caisses / remorques adaptées pour certains types de transport (matériel médical, chaîne du froid, matériel fragile, humidité, etc.) – ou parfois il y a simplement besoin d’évidences scientifiques qui démontrent l’absence de problèmes liés aux vibrations
Obstacles urbanistiques
- Infrastructures cyclables trop étroites, empêchent notamment le dépassement / croisement entre vélos-cargo
- Priorité donnée aux transports individuels motorisés au détriment des autres modes de transports (manque de place de stationnement pour les vélos-cargo, sas vélos pas adaptés pour vélos-cargo)
Obstacles en termes de formation / information
- Besoin de former davantage de spécialistes vélos-cargo (mécanicien·nes, vendeur·euses, etc.)
- Mieux informer le public (privé et entreprises) sur les possibilités existantes concernant les vélos-cargo
- Besoin de cours de conduite vélo-cargo, de davantage de magasins et ateliers fournissant des services, d’assurances, etc.
Solutions
- Amélioration et harmonisation des lois, plusieurs projets de lois sont dans le pipeline au niveau fédéral ; notamment la hausse du poids toléré des vélo-cargos à 450 kg, la largeur qui passerait de 1m à 1,20m (à suivre) - Informations ici (cf. synopsis qui combine l'ensemble des solutions proposées)
- Valoriser les bénéfices externes procurés par l’usage du vélo-cargo
- Impact écologique (empreinte carbone, pollution locale, espace public)
- Impact positif sur la santé (physique et mentale) cf. "Pourquoi le vélo rend-il heureux", France Inter
- Renforcer les soutiens institutionnels aux entreprises qui souhaitent développer leur usage du vélo-cargo (ex: subventions, plans de mobilité, etc.)
- Mieux organiser les utilisateurs·trices professionnels du vélo-cargo pour faire pression activement sur les autorités afin de lever les obstacles notamment urbanistiques à leur usage
- Important d’agir à la fois sur les infrastructures et sur les comportements. Dépasser l’idée (encore très répandue) que le vélo est uniquement dédié aux hommes jeunes. On constate une augmentation du nombre de cyclistes et une diversification des utilisateur·trices, notamment grâce aux VAE. Mais un problème de représentativité subsiste.
- Important de créer des représentations de personnes/entreprises qui utilisent le vélo-cargo (médias, conférence, visibilité, etc.). Dans le même temps, abolir l’image de la voiture comme outil d’affirmation économique patriarcale. Le vélo-cargo c’est cool!
- Il y a une hausse significative du nombre de livraisons (nourriture, commandes internet, etc.). Le nombre de petits colis augmente. Au-delà des questionnements essentiels à avoir sur ces évolutions, développer la livraison en vélo-cargo, notamment sur le «dernier kilomètre», est essentiel pour éviter d’être submergés par les camionnettes.