Une manifestation se tiendra mardi 23 mai pour protester contre EBACE (European Business Aviation Convention & Exhibition), le deuxième plus grand salon mondial de l’aviation privée qui ouvrira ses portes ce jour-là à Palexpo (GE). Alors que l’aviation privée est l’un des symboles les plus criants de l’injustice climatique, peut-on vraiment accepter la tenue d’un tel événement dans un monde qui brûle?
actif-trafiC, Noé21, la Grève du Climat Genève, le Collectif BreakFree, les Vert·e·s genevois, la Jeunesse Socialiste Genevoise, la Jeunesse solidaire-solidaritéS Jeunes, solidaritéS Genève et le syndicat SIT organisent une manifestation pour dénoncer les jets privés et demander d’en finir avec un mode de déplacement réservé à quelques hyper-privilégiés, le plus polluant et énergivore qui soit.
Injustice climatique criante
Dans le secteur aérien, 1% des personnes sont responsables de la moitié des émissions. Or, depuis la pandémie, le secteur des jets privés est en plein essor. Un vol en jet émet 5 à 14 fois plus de CO2 par passager qu’un vol de ligne. Il est estimé qu’en trois heures de vol, un avion privé peut émettre entre 3 et 15 tonnes de CO2. 15 tonnes, c’est un peu plus que les émissions totales d'un Suisse moyen sur une année entière. Or, pour maintenir un climat stable et une planète habitable, notre budget carbone global est limité: nous devons réduire les émissions de 60% d’ici 2030. La part du budget carbone engloutie par les jets privés ne pourra pas l’être pour d’autres usages plus essentiels.
Pour atteindre la neutralité carbone, l’aviation devra décroître fortement. «Mais peut-on demander à des gens de renoncer à des vols de ligne pour aller voir leur famille à l’étranger, si pendant ce temps une poignée de privilégiés recourt à des avions privés pour aller prendre leur petit-déjeuner sur la Côte d’Azur?» s’interroge Thibault Schneeberger, coordinateur d’actif-trafiC. «Cette situation est intenable: maintenir l’aviation privée est un obstacle symbolique majeur à l’action climatique. Celle-ci, pour être acceptée, doit être juste et équitablement partagée.»
Après les comptes sur les réseaux sociaux traquant les jets, après le débat sur leur interdiction au Parlement français, après l’annonce de l’aéroport d’Amsterdam (Schiphol) d’en finir avec les jets privés, le grand salon européen de l’aviation privée EBACE à Palexpo, qui rassemble plus de 12’000 personnes et 400 exposants, ne pouvait rester sans contestation.
Greenwashing et licornes «durables»
Le site de la conférence EBACE (https://ebace.aero/2023) contient un chapitre fourni à propos de la durabilité («sustainability»), encourageant les participant·es au sommet à prendre avec eux une gourde, à réutiliser plusieurs fois leur serviette de bain à l’hôtel ou encore à privilégier les repas végétariens… «Quand on connaît les ordres de grandeur sur le poids écologique de l’aviation privée, ce greenwashing s’apparente à du foutage de gueule!» s’exclame Tiziano Frei de la Grève du Climat Genève.
Le programme d’EBACE consacre plusieurs conférences aux SAF (Sustainable Aviation Fuels): des carburants de synthèse (une technologie peu mature) ou des agrocarburants. En réalité, les SAF constituent seulement 0,01% du fuel utilisé dans les avions à l’heure actuelle. L’industrie met en avant la deuxième génération d’agrocarburants, issue de déchets agricoles, mais aucun scénario ne montre qu’il y aurait assez de déchets agricoles à l’échelle des besoins de l’aviation actuelle et cela ne résoudrait pas l’entier des problèmes des émissions non-CO2 de l’aviation.
«À l’avenir, du fait des ressources limitées, la compétition pour des carburants durables sera forte. Les SAF devront servir à des usages bien plus essentiels que de faire voler des avions privés. Les carburants de synthèse serviront notamment au stockage saisonnier de l'électricité renouvelable, qui constitue un défi majeur de la transition énergétique pour se chauffer de manière renouvelable en Europe.» explique Jérôme Strobel de Noé21.
Si des recherches sur les carburants alternatifs peuvent être intéressantes, elles ne doivent surtout pas faire croire à des mirages: le seul moyen réellement efficace de réduire les émissions du trafic aérien est de réduire les trajets en avion!
Genève: destination très prisée pour les jets
Comme le révélait la presse dominicale ce 14 mai, la Suisse est de très loin le champion européen de l’aviation privée, avec 4054 décollages par million d’habitant·es. Genève est d’ailleurs l’un des principaux hubs en Europe avec, à Cointrin, 11’685 mouvements d’avions privés (non-commerciaux) en 2022, auxquels il faut encore ajouter 26’820 mouvements d’avions-taxi (vols à la demande)!
«En 2019, la population genevoise avait accepté l'initiative ‘pour un pilotage démocratique de l'aéroport’, qui exigeait que l'aéroport soit au service de la population et non de quelques personnes nanties inconscientes des nuisances qu'elles génèrent. Il est temps de retrouver la raison et le sens de la mesure.» explique Julien Nicolet-dit-Félix, vice-président des Vert·e·s Genève.
Genève est donc à double titre un bon endroit pour manifester contre l’aviation privée: parce qu’elle héberge EBACE trois jours par an… et parce qu’elle est un véritable paradis des jets tout le reste de l’année.
«Avec leur mode de vie ultra-polluant, les 1% les plus riches, qui possèdent autant que 50% de la population mondiale, émettent 2 fois plus de CO2 que ces derniers. La transformation écologique nécessite la transition massive d'emplois dans les secteurs polluants comme l’aviation (en particulier privée) vers des secteurs d’avenir comme l’éco-rénovation ou les transports publics terrestres: pour faciliter cette bifurcation, il faut faciliter les transitions professionnelles!» explique Teo Frei de solidaritéS.
Nous appelons la population à venir nombreux·euses manifester contre l’aviation privée ce mardi 23 mai.