Communiqué de presse de la Coordination Transports et Déplacements (CTD)
actif-trafiC, ATE Genève, Pro Vélo Genève, Mobilité Piétonne Genève, WWF-Genève, CITRAP, ARAG
Genève, le 23.02.2022
Le Conseil d’Etat genevois a présenté sa stratégie cantonale «Modérer la vitesse pour lutter contre le bruit routier» le 20 janvier dernier. Pour les associations membres de la Coordination Transports et Déplacements (CTD), les mesures annoncées constituent un minimum incontournable afin de protéger la santé et la sécurité de nombreux genevois. Mais pour étendre au plus grand nombre cette protection contre les effets nocifs de la vitesse et du volume excessifs du trafic motorisé, la CTD attend des prochains développements de la stratégie du Conseil d’État l’extension progressive de la zone II LMCE et la mise à 30km/h maximum jour et nuit de l’ensemble de celle-ci, y compris les axes structurants.
Pour la CTD, il était urgent de reconnaître la modération des vitesses comme l’un des outils incontournables de la lutte contre le bruit routier, conformément à l’objectif de limitation du bruit à la source priorisé par le droit fédéral. En effet, malgré les autres mesures prises ces dernières années (notamment la pose de revêtement phonoabsorbant), 120'000 habitant·es du Canton de Genève restent exposé·es à des valeurs de bruit dépassant les normes fédérales selon le bilan 2018 de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).
Sur la base des données de cet Office, un rapport récent de la Banque Cantonale de Zurich (1) relève que la Ville de Genève est la plus bruyante de Suisse avec 32,7% des logements exposés à un bruit routier dépassant 60 décibels (soit l’équivalent d’une tondeuse à gazon passant à dix mètres de sa fenêtre), et estime à 40 millions de francs la moins-value locative qui en résulte.
Le bruit : question majeure de santé publique
Mais le bruit routier provoque surtout de nombreux problèmes de santé : manque de sommeil, somnolence diurne, baisse de concentration et de productivité, problèmes cardiovasculaires, stress, agressivité, etc. Face à cet enjeu majeur de santé publique, le droit fédéral fixe des limites maximales d’exposition au bruit, dont le dépassement oblige les autorités et les propriétaires d’immeubles à prendre des mesures d’assainissement.
Genève a bien trop tardé pour agir à la source, en renonçant à envisager des limitations de la vitesse autorisée avant d’accorder des allègements à l’obligation d’assainir. Ce n’est qu’à la suite de décisions judiciaires remettant en cause cette pratique que le Conseil d’État a été amené à arrêter sa nouvelle stratégie.
Il est établi que le passage de 50 km/h à 30 km/h peut amener une diminution de l’ordre de 3 dB, soit l’équivalent d’une division par deux du bruit routier « de fond ». De plus, la réduction de l’amplitude des accélérations / ralentissements contribue aussi à une réduction des pics sonores et améliore de surcroît la fluidité du trafic. S’opposer dans ces conditions à généraliser la limitation de vitesse en zone urbaine dense à 30 km/h revient à exposer sciemment des milliers d’habitants à un risque pour leur santé. Une telle position est à la fois contraire au droit et politiquement choquante.
Des solutions qui n’en sont pas
La solution au problème du bruit routier ne pourra pas venir de l’électrification du parc automobile. En effet, à partir de 40km/h, l’essentiel du bruit provoqué par les voitures provient du roulement des pneus sur l’asphalte. Si, à basse vitesse, les voitures électriques sont toutefois plus silencieuses, à 50 km/h, elles produisent un bruit comparable à celui des voitures thermiques.
La pose de radars anti-bruit est quant à elle une bonne mesure, mais répond à une autre problématique. En effet, si la technologie de ces dispositifs commence à permettre le ciblage des mauvais comportements (pots d’échappement et moteurs trafiqués, conduite « sportive », etc.) et lutter ainsi contre les pics de bruit, ils restent impuissants pour combattre la nuisance sonore principale : le bruit « de fond » continuel dû au volume et à la vitesse de l’ensemble des véhicules. Pour nos associations, la modération de la vitesse est donc une mesure incontournable.
Pour une stratégie plus ambitieuse et plus homogène
La stratégie du Conseil d’Etat genevois visant une réduction des vitesses en zone I et la plupart des axes en zone II va donc dans le bon sens. Toutefois, elle nous semble insuffisante pour assainir la situation pour l’ensemble des habitant·es et paraît inutilement complexe.
Nous soutenons donc une réduction jour et nuit à 30 km/h maximum de l’ensemble des axes des zones I et II (à l’intérieur de ces zones ou les bordant), y compris donc les axes structurants et la ceinture urbaine.
Même si nous comprenons l’accent mis sur la lutte contre le bruit routier nocturne (et le succès de l’expérience lausannoise en démontre l’intérêt), nous pensons qu’il n’y a pas de raison pour ne pas appliquer cette mesure la journée également, y compris sur les axes structurants de la zone II ainsi que sur la ceinture urbaine. Ces axes sont souvent très fortement fréquentés et bordés de nombreux logements et écoles qui ont également besoin d’une réduction du niveau sonore durant la journée.
Une régulation temporellement et spatialement plus homogène des vitesses permettrait aussi d’améliorer la lisibilité de ces mesures et donc leur respect par les automobilistes. Un large périmètre sans exceptions – sauf 20 km/h par endroits – nous paraît beaucoup plus facilement compréhensible pour les usagers·ères, et donc plus facile à faire respecter. Cela serait par ailleurs plus simple et plus économique à mettre en œuvre du point de vue de la signalisation.
Sécurité routière: autre effet bénéfique de la diminution des vitesses
Hormis la diminution du bruit, la généralisation du 30 km/h améliore significativement la sécurité routière. Le risque de décès pour un piéton en cas de collision avec une voiture roulant à 30 km/h est estimé à 10%. Avec une vitesse de collision de 50 km/h, le risque de décès pour le piéton dépasse 70% Une vitesse modérée permet de diminuer fortement la distance de freinage, d’augmenter le champ de vision et d’améliorer grandement les chances que l’automobiliste s’arrête au passage piéton.
Or, Genève a vu une hausse des accidents mortels sur ses routes en 2021 avec 14 décès. Une vitesse réduite pourrait fortement réduire le nombre d’accidents et la gravité de ceux-ci. Bruxelles, par exemple a vu la mortalité sur ses routes divisée par deux2 depuis l’introduction du 30 km/h.
Cette amélioration de la sécurité objective et perçue a pour avantage qu’elle augmente l’attractivité et le confort des mobilités actives, et incite donc davantage à se déplacer à pied ou à vélo. Une diminution appliquée également de jour serait donc un véritable coup de pouce pour la mobilité douce.
Transports publics: l’occasion d’appliquer enfin la volonté populaire
Les expériences à Grenoble, Bruxelles ou Lausanne la nuit semblent démontrer que l’introduction du 30 km/h n’a pas d’incidence significative sur la vitesse commerciale des transports publics. Nous pensons toutefois, vu la densité et l’importance du réseau TPG, qu’il serait nécessaire que ces nouvelles limitations s’accompagnent de la création de nouveaux sites propres TPG et d’une régulation des feux qui leur donne la priorité aux croisements, comme le demande l’art. 7 al. 2 de la LMCE (3). Nous pensons que cette stratégie vitesse est une opportunité pour mettre en œuvre cette disposition voulue par la population.
À notre sens, l’élément décisif pour améliorer la vitesse commerciale n’est pas tant la possibilité pour un véhicule TPG d’effectuer des «pointes de vitesse» à 50 km/h entre deux arrêts (ce qui, en pratique, en zone urbaine n’est de toute façon pas si fréquent), mais bien que le risque d’être coincé dans les embouteillages et le temps d’arrêt aux feux de circulation soient réduits au strict minimum.
Les analyses à Bruxelles démontrent même que pour les véhicules privés, malgré l’abaissement de la vitesse, les temps de parcours des voitures sur des itinéraires-types n’ont pas augmenté (4).
La réussite des expériences des nombreuses autres villes ayant généralisé le 30 km/h de jour comme de nuit (5) plaide pour une stratégie plus ambitieuse que celle proposée par le Conseil d’Etat. De plus, nous pensons que cela constitue une étape cruciale pour la réalisation des objectifs du Plan Climat Cantonal, qui vise –40% de trafic motorisé d’ici 2030 (6).
Coordination Transports et Déplacements (CTD)
actif-trafiC, ATE Genève, Pro Vélo Genève, Mobilité Piétonne Genève, WWF-Genève, CITRAP, ARAG
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(1) https://www.zkb.ch/media/dokumente/blog/immobilien/Immobilien%20Aktuell… Selon cette étude, en ville de Genève, seules 6% des adresses résidentielles peuvent être considérées comme « calmes » (bruit inférieur à 50 dB). Par comparaison, à Berne, 59,6% des
adresses sont « calmes » (et seuls 4,6% sont exposés à un bruit de +60 dB, contre 32,7% à Genève).
(2) https://www.rtbf.be/article/bilan-zone-30-a-bruxelles-le-nombre-de-vict…
(3) « En zones I et II, la priorité en matière de gestion du trafic et d’aménagement des réseaux est donnée à la mobilité douce et aux transports publics »
(4) https://www.rtbf.be/article/bruxelles-ville-30-les-premiers-chiffres-so…
(5) En plus de nombreuses villes françaises (Paris, Toulouse, Nantes, Montpellier, Bordeaux, Lille…), notons que l’Espagne a généralisé en mai 2021 le 30 km/h dans toutes ses villes et villages (https://www.ruedelavenir.com/actualites/lespagne-ouvre-le-bal-des-pays-…), tout comme Londres a limité son centre-ville à 20 mph (32 km/h) mais aussi plus de 100 localités en Allemagne qui souhaitent généraliser le 30 km/h (http://lebenswerte-staedte.de/staedte-und-gemeinden-der-initiative.html)
(6) En effet, la ville de Grenoble a vécu 9% de réduction de trafic après l’introduction du 30 km/h.