Communiqué de presse · Genève, le 3 février 2022
Le Conseil d’État genevois a annoncé ce mercredi 2 février qu’il appellerait à rejeter l’initiative «Climat Urbain» et lui opposerait un contreprojet. Une prise de position regrettable, dont les arguments très discutables sur les plans politique, technique et financier méritent une réponse.
Soulignons d’abord que le Conseil d’État a constaté la validité juridique de l’initiative et dit «partager les préoccupations qui animent les auteurs». Mais, au prétexte de prétendus «obstacles techniques et financiers», il appelle à rejeter un texte pourtant porté par une très large coalition de 25 organisations, dont l’entier du spectre politique allant de la gauche de la gauche aux Vert’Libéraux et de nombreuses associations environnementales et d’habitant·es.
Plutôt que de s’appuyer sur cet élan citoyen qui pourrait l’aider à mettre en application les objectifs de son plan climat, le gouvernement semble vouloir se cacher derrière des prétextes «techniques» hautement contestables.
Un contreprojet ferait perdre un temps précieux pour la bataille climatique
Proposer un contreprojet suppose d’ouvrir une année supplémentaire de processus parlementaire, retardant d’autant les premières mesures concrètes. Or, les événements météorologiques extrêmes de 2021 (dômes de chaleur, inondations meurtrières, etc.) montrent que nous n’avons plus le temps de tergiverser.
Chaque année d’inaction sur la réduction des émissions rend la courbe à suivre encore un peu plus raide. Chaque année d’inaction pour la végétalisation et la dés-imperméabilisation des sols fragilise nos villes et leur adaptation pourtant indispensable aux canicules extrêmes et aux inondations à venir.
En cohérence avec sa déclaration d’urgence climatique et son Plan Climat, le Conseil d’Etat devrait au contraire plaider pour un traitement accéléré de l’initiative!
Végétaliser les villes est possible malgré les réseaux souterrains
Selon le Conseil d’Etat, l’initiative exigerait de «déplacer» à grands frais les câblages et canalisations des souterrains. C’est évidemment un raccourci bien trop facile et très exagéré. Si le comité d’initiative est conscient de la réalité complexe du sous-sol genevois, il sait aussi qu’il est parfaitement possible de planter des arbres en milieu urbain sans «déplacer» systématiquement les réseaux souterrains. En effet, nombre de ces canalisations se concentrent sous les trottoirs actuels. Les places de stationnement ou les voies de circulation visées par l’initiative sont souvent construites sur des sols qu’il suffit souvent de «dégrapper» pour planter. De plus, à l’exception de certaines espèces, on sait que le système racinaire des arbres cherche à s’étendre en général plutôt à l’horizontale, à moins d’un mètre de la surface, où la concurrence avec les réseaux souterrains est moins forte.
Et même dans les cas plus compliqués, des solutions existent : mélange terre-pierres, fosses de Stockholm, etc. Le comité d’initiative travaille étroitement avec des spécialistes (dendrologues, architectes-paysagistes, urbanistes, etc.) pour recenser et mettre en lumière les bonnes pratiques et innovations en la matière, déjà éprouvées à Genève.
N’oublions pas qu’un arbre est un être vivant dont les bénéfices (notamment en termes de surface ombragée) ne sont pas immédiats. Préserver les générations futures des canicules grâce à des arbres implique de ne pas attendre pour planter. C’est pourquoi nous devons dès maintenant investir sans attendre, pour avoir des arbres à pleine maturité dans 15 ans.
Notons surtout que le texte de l’initiative parle bien d’espaces «verts et arborés». La végétalisation des espaces urbains passe donc aussi par le développement de strates herbacées, arbustives, prairies fleuries, etc. Si planter de grands arbres n’est pas possible partout, cela n’empêche pas forcément des mesures qui dés-imperméabilisent les sols. Les inondations meurtrières de l’été 2021 en Europe l’ont montré: l’artificialisation des sols engendre un mauvais écoulement des eaux et peut avoir des conséquences dramatiques... et très coûteuses.
Cela dit, une réflexion sur la gestion de nos sous-sols semble incontournable. Cette initiative pourrait être l’occasion de réfléchir à un «urbanisme du sous-sol», pour rationaliser ces réseaux aujourd’hui disposés de manière peu optimale et dont la durée de vie n’est de toute façon pas éternelle.
Agir pour la diminution des émissions et l’adaptation est la solution la moins chère
Concernant les coûts invoqués par le Conseil d’Etat, les études montrent que les coûts de l’inaction climatique dépassent largement ceux d’une action à la hauteur des enjeux. De nombreux experts en assurance nous préviennent: un monde à +2°C ne sera peut-être plus assurable. Et si même nous ne pouvions éviter une telle trajectoire, il sera moins coûteux d’investir dès maintenant massivement dans la mobilité durable, qui est beaucoup plus résiliente face aux crises énergétiques à venir… et dans un aménagement urbain adapté aux conditions climatiques futures, plutôt que de subir les conséquences des crises à venir.
Notons aussi que les infrastructures de mobilité douce sont bien moins coûteuses à réaliser et entretenir que les chaussées dédiées aux voitures. Les externalités positives des modes actifs et de la végétation urbaine (sur la santé publique notamment) font de ces dépenses des investissements à termes bénéfiques pour les finances de l'État.
Le Conseil d’État peut par ailleurs compter sur les 12 milliards qu'il a lui-même annoncé vouloir débloquer pour la mise en œuvre du Plan Climat Cantonal.
Une image très trompeuse des effets de l’initiative
Ramener les surfaces évoquées par l’initiative à «l'équivalent de 80% de la surface occupée par le stationnement sur la chaussée en Ville de Genève» s'apparente à une manipulation: les mètres carrés que l’initiative vise à récupérer sur le trafic motorisé concernent aussi les voies de circulation, aux gabarits encore très souvent bien trop généreux, et sur lesquelles de larges surfaces pourraient être gagnées pour la mobilité durable et la végétalisation.
Le courage de l’urbanisme tactique
Enfin, le Conseil d’Etat invoque «certaines communes» (sans préciser lesquelles) qui auraient relevé que leurs ressources ne permettraient pas de mettre en œuvre l’initiative dans les délais. Nous pensons, là encore, qu’il existe de nombreuses solutions. En effet, tout particulièrement pendant la pandémie, de nombreuses villes dans le monde ont expérimenté l’urbanisme tactique, qui consiste à mettre en place de manière rapide et économique des transformations parfois importantes de l’espace public, sans passer par de longues et coûteuses procédures. Vu le succès indéniable des aménagements piétons et cyclistes réalisés ainsi durant le COVID, dont l’essentiel est encore en place et en passe d’être pérennisé (grâce au large soutien populaire exprimé après leur réalisation), nous pensons qu’il serait tout à fait souhaitable de mettre en place de nouvelles opérations de ce type qui s’inscriraient dans la mise en œuvre de notre initiative.
Pour toutes ces raisons, le comité d’initiative Climat Urbain appelle les député·es du Grand Conseil à ne pas suivre le Conseil d’Etat et à voter en faveur de l’initiative Climat Urbain, sans lui opposer de contreprojet.